sans transition (2015)
25 dessins, 13 x 21 cm chaque dessin, 1 vidéo de 25 minutes 51 secondes sur tablette numérique de 9 pouces
Sans transition (2015) est un diptyque constitué d’une série de dessins extraits d’un carnet utilisé depuis juin 2015 et d’une vidéo rendant compte d’un fil d’actualité sur la plateforme Twitter depuis la même date.
D’une part les dessins, à la plume, issus de ma pratique quotidienne.
Il s’agit de natures mortes, de fragments de paysage, de bribes de vie, qui sont autant de moments capturés. Plus que le motif représenté, c’est bien l’enregistrement d’un instant fugitif qui importe, comme en atteste les localisations, dates et heures qui sont consignées sur chacun des dessins. Non pas que l’instant corresponde à un événement, au contraire. La banalité domestique d’un linge étendu au soleil avant d’être plié ou de fruits sur une assiette avant d’être mangés sont des témoignages de l’ordre du journal intime. Je procède à une sorte d’inventaire de mon environnement, au gré de mes déplacements.
D’autre part les tweets qui défilent frénétiquement à l’écran d’une tablette numérique.
Ce sont ceux de l’Agence France-Presse, organisation qui couvre l’actualité mondiale depuis 1944 et qui publie ses dépêches sur les réseaux sociaux depuis 2010. À raison d’une centaine de tweets par jour, l’AFP écrit l’histoire contemporaine en temps réel en abordant tous les domaines d’actualité. Une dépêche sur le mécénat en art à 19:52 précède une autre sur le désamiantage dans l’Orne à 20:07, laquelle s’enchaîne sur le tennis féminin à Wimbledon à 20:12 puis sur le référendum grec à 20:25 (le 3 juillet 2015). Plus encore que dans la presse quotidienne ou les journaux télévisés, spécialistes des « sans transition », les impératifs de l’actualité produisent des coq-à-l’âne systématiques, où chaque information oblitère la précédente.
La captation vidéo du fil Twitter de l’AFP, en rendant compte de ma recherche des informations postées aux mêmes moments que les dessins, sauvegarde ce flux. Le cadavre exquis vertigineux, à la fois écrit et visuel, que composent les divers événements mondiaux, se trouve ainsi archivé et mis sur un pied d’égalité avec les scènes de genre figées sur le papier.
Deux histoires qui semblent s’ignorer se trouvent ainsi rapprochées: celle collective, hystérique autant que poétique, produite sur Twitter, et celle personnelle, anti-spectaculaire, des dessins réalisés dans l’intimité.
A travers ce diptyque, c’est aussi la question du temps de regard qui est soulevée : quelle force peut aujourd’hui avoir un dessin dans l’économie de l’attention qui submerge nos sociétés de propositions plus attrayantes les unes que les autres ?