Lei
Texte, dessin sur papier
#028
Deux ans et demi après avoir emménagé avec Lei, nous avons déménagé pour la troisième fois à Avignon. Le premier appartement était trop petit, le deuxième trop froid et humide en hiver, alors pour le troisième nous avons opté pour une résidence. Lei cuisinait bien, était espiègle, riait beaucoup et parlait beaucoup.
Son image me rappelait Leslie Cheung dans le film « Nos années sauvages » (1990), allongé sur son lit, allumant une cigarette et prononçant le monologue suivant : « Il était une fois un oiseau sans pattes. Cet oiseau ne savait rien faire d'autre que voler. Quand il était fatigué, il se laissait porter par le vent et s'endormait. Le jour où cet oiseau toucherait le sol serait le jour de sa mort. » Puis il se regarda dans le miroir et se mit à danser le mambo.
En deux ans et demi, nous avons appris à vivre à deux, nous surprenant, nous décevant, nous comprenant et nous adaptant peu à peu l’un à l’autre. À l'âge de trente ans, Lei s'était découvert une passion pour le cinéma et passait ses nuits à regarder des films. Quand il me proposait de regarder un film le soir au lit, je m'endormais à chaque fois, et lui restait éveillé toute la nuit. Lei s'est inscrit dans une école privée d'audiovisuel à Avignon et a nourri son rêve de devenir réalisateur en apprenant la prise de vue, le montage et l'écriture de scénarios.
Vivre ensemble et accepter nos différences n'était pas difficile, mais je/nous ne voyais/voyions pas d'avenir pour notre couple. Nous étions chacun·e dans notre bateau, et les deux bateaux étaient instables.
[Extrait d'un e-mail envoyé à Hyojin le mercredi 16 mars 2011]
Hier, nous nous sommes tous retrouvés chez Yi Fan (un ami chinois) pour dîner, et Lei m'a dit que j'étais bizarre. Il m'a demandé pourquoi j'étais différente quand je parlais avec mes ami·e·s coréen·ne·s, pourquoi je vivais avec lui, si je l'aimais vraiment.
Je lui ai répondu que je ne savais pas.
En réalité, je connaissais déjà la réponse, mais je ne l’ai pas dite.